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Chroniques
Julien Blanc et Philippe Hattat
concours international de piano d’Orléans
Du 18 au 28 février dernier eut lieu le prestigieux Concours international de piano d’Orléans, inauguré dès 1994 sous l’énergique impulsion de Françoise Thinat, sa fondatrice. Dix jours durant, un jury constitué des compositeurs Hèctor Parra et Vladimir Tarnopolski, des pianistes Winston Choi et Jacqueline Méfano (mais encore d’autres acteurs de la vie musicale), présidé par Jean-François Heisser, a passé près de douze heures à écouter une quarantaine de candidats, venus du monde entier, l’Asie demeurant le continent le plus représenté (trois Chinois, quatre Coréens et cinq Japonais).
Pianiste et grande pédagogue, Françoise Thinat connut le « système-concours » en tant que juré, mais aussi en tant que candidate. Il y a un peu plus d’une vingtaine d’années, elle a souhaité créer celui d’Orléans pour le dédier à la musique de notre temps, à travers un répertoire débutant vers 1900 pour chaque fois gagner deux ans de plus (puisque l’événement est biennal), mais encore pour offrir aux prétendants des conditions optimales. En prenant de l’âge, le concours a gagné en notoriété et en moyens. Ainsi cette douzième édition, dédiée à Pierre Boulez qui nous quittait quelques semaines plus tôt, statuait-elle sur plusieurs prix, dont la mention spéciale Blanche Selva, le prix de la SACEM, les « spéciaux » sous la protection des compositeurs (Boucourechliev, Ginastera, Jolivet, Ohana, Yun, etc.) ou des interprètes (mentions Samson François, Claude Helffer et Ricardo Viñes), et bien d’autres sections portant à une belle douzaine les récompenses qui distingueront ces jeunes musiciens.
On le devine : la sélection est aride. Trois jours d’éliminatoires, puis une demi-finale les 22 et 23 février, enfin l’épreuve dite Récital, le lendemain, ouvrant sur la Finale qui eut lieu le dernier jour. C’est ce menu que découvrit la jeune musicologue Isabella Vasilotta lorsqu’elle visita le Concours international de piano d’Orléans en 2014, dans le cadre d’un reportage. Les rencontres sont parfois fécondes et décisives : voici promue directrice artistique de l’institution la jeune Milanaise, qui par ailleurs étudia la composition auprès de Giovanni Verrando et dont on lira avec grand intérêt la brillant analyse d’An index of metals de Fausto Romitelli, parue tout récemment (in Anamorphoses, sous la direction d’Alessandro Arbo, Hermann Éditeurs, 2015).
Après les excellents Fabio Grasso [lire notre critique du CD], Toros Can [lire notre chronique du 22 septembre 2007] et Wilhem Latchoumia [lire notre chronique du 29 janvier 2011], ainsi que le prodigieux Winston Choi [lire les critiques des CD Carter et Lenot, de même que notre chronique du 7 avril 2008], entre autres, nous découvrons ce soir deux pianistes fort talentueux, tous deux français : Philippe Hattat (né en 1993) et Julien Blanc (né en 1990). Ils sont encore élèves du CNSMD de Paris, après avoir fréquenté d’autres conservatoires, et ont commencé leur carrière. À Orléans, Julien vient de remporter le prix d’interprétation André Chevillion–Yvonne Bonnaud et Philippe s’y est doté des mentions spéciales Ricardo Viñez et Alberto Ginastera, en sus du prix de composition André Chevililon–Yvonne Bonnaud.
L’intense période des épreuves occasionne en parallèle d’autres regards, plus détendus ceux-là, sur la musique : expositions, conférences, rencontres avec des solistes ou des compositeurs, mais aussi quelques concerts. Ainsi les récitals de Winston Choi et de Toros Can. En amont du concert de prestige qu’on entendra lundi prochain (14 février), au Théâtre des Bouffes du nord – formule devenue quasiment traditionnelle [lire notre chronique du 16 mars 2009] –, l’Institut Culturel Italien de Paris accueille en son fort beau salon de l'Hôtel Galiffet ce moment de musique et d’échange avec les deux lauréats.
Deux lauréats, deux tempéraments bien distincts. Philippe Hattat démontre volontiers la virtuosité, avec un engagement généreux, voire cordial, quand Julien Blanc s’avère plus secret et se révèle dans la ciselure. Chacun maîtrise parfaitement la technique, cela va de soi, ce qui n’induit absolument pas qu’il en soit fait usage de comparable manière. Alternant conversation et musique, ils font part de leur goût pour les œuvres qui s’écrivent là, en ce moment précis où l’on commente cette soirée, peut-être : l’aventure de la contemporanéité est aussi simple qu’extraordinaire, nous ne les contredirons pas. Sous les doigts du plus jeune, nous entendons la volcanique Ile de Feu I d’Olivier Messiaen (1949), trois pages extraites des vingt-quatre Éphémères de Philippe Hersant (1999-2003) et le premier mouvement de la Sonate Op.53 n°2 d’Alberto Ginastera (1981). La verve dansante et joueuse de cet Allegramente déflagrant fait bel effet et suscite l’enthousiasme. L’aîné charme avec Cloches d'adieu, et un sourire… (in memoriam Olivier Messiaen) de Tristan Murail (1992), le premier épisode de l’intensément rythmique Sonate de Béla Bartók (1926), et fascine dans l’Étude n°9 de Jacques Lenot (révision de 2011).
Rendez-vous aux Bouffes du nord, lundi, avec Takuya Otaki, Philippe Hattat, Marianna Abrahamyan et l’ensemble Court-circuit que dirigera Jean Deroyer, pour un programme Adès, Crumb, Stockhausen, Szymanowski et Webern, sans oublier la création du Carillon d’Orléans (nous en reparlerons).
BB